Aux origines du cricket

Un nouveau contributeur fait son apparition sur l’Esprit du Cricket. Et il démarre fort avec une véritable enquête historique aux origines du cricket, qui suscitera forcément la controverse. Bienvenue Yves !

Aux origines du Cricket.

par Yves Tripon

La France ne connaît quasiment pas de jeu traditionnel de batte, de base et de balle, ce qui n’est pas le cas d’une grande partie de l’Europe depuis la Finlande et la Russie jusqu’à l’Italie. Or, étrangement, le mot cricket viendrait, à en croire certains dictionnaires étymologiques, du vieux français criquet, qui désignait un bâton fiché dans le sol servant de but au jeu de boule. On imagine bien les joueurs envoyant la boule le plus fort possible afin de faire tomber le « criquet ».

L’histoire est amusante et un brin ironique.

La perfide Albion aurait trouvé plus perfide qu’elle : la langue française qui ferait que son sport national serait né chez nous. Mais sitôt que l’on se penche sur le document unique, qui date de 1478, on relève quelques incohérences, qui mettent en cause la définition classique reprise par tous les dictionnaires d’étymologie de la langue anglaise.

Perfide Albion vs Gaulle perfide : The Match !
Perfide Albion vs Gaulle perfide : The Match !

Tout commence en la ville de Thérouanne, sise aujourd’hui dans le Pas-de-Calais, avec un cannonier venu jouer et passer du bon temps dans la ville de Liettres près de Saint-Omer. Ah ! voir Liettres et mourir. Car mort, il y eut. Une bagarre se déclencha dans un endroit où, nous dit la lettre adressée à Louis XI, on jouait aux boules près « d’une atache ou criquet ». Et c’est ce mot qui sert à certains de « preuve » de la naissance du cricket en France ;

Mais c’est là aussi qu’ apparaît la première incohérence. La lettre ne dit pas « atache et criquet », mais « atache ou criquet ». De deux choses l’une, soit l’auteur du courrier n’est pas sûr qu’une atache ou un criquet se trouvait sur le terrain, soit il s’agit de deux mots désignant le même objet. Si l’on sait que la lettre est une supplique, une demande d’intervention de la justice du roi, on a du mal à imaginer une imprécision telle que celle de la première hypothèse. L’auteur a tout intérêt a être le plus précis possible. Et pour ce faire, il doit restituer l’affaire dans les moindres détails. Il serait donc plus logique de penser à un seul et même mot. Donc, si criquet et atache sont un seul et même objet, qu’est qu’une atache ?

Godefroy, qui reprend en 1894 d’ailleurs mot pour mot la définition de 1882 de criquet de Jean-Baptiste de la Curne de Saint-Palaye, donne la définition suivante : « sorte de ruban ornant les chapeaux ». Il faut reconnaître qu’il n’est pas simple de voir le rapport entre un bâton fiché dans le sol, comme il est dit classiquement et repris systématiquement sans vérification par les étymologistes, et un « ruban ornant les chapeaux ».

La deuxième incohérence tient en ce que, dans les plus vieilles versions du cricket que nous connaissons, le bâton fiché dans le sol n’est jamais désigné en anglais sous le nom de cricket ou criquet. mais de wicket (guichet), mot apparu au début du XIII° siècle pour désigner une petite porte, en particulier une des deux parties d’une porte du type de celles que l’on peut trouver dans une grange ou une étable et qui permet d’observer ce qui se passe à l’intérieur ou de faire venir un animal sans que celui-ci puisse sortir. Wicket possède un équivalent alors en français ancien, le viquet ou wiquet (dans le nord). Certes le mot wicket, en tant que désignation des piquets défendus par le batteur, n’apparaît dans les textes qu’au XVII° siècle, mais c’est le cas pratiquement de tous les termes modernes du cricket. On sait aussi que les premières versions du cricket, jouées dans le sud-est de l’Angleterre, n’utilisaient pas de piquet, mais justement des portes de grange. On voit mal comment une telle confusion aurait pu se produire.

La troisième incohérence tient en ce que le lieu de l’incident se situe dans les Flandres françaises, c’est-à-dire dans la partie du royaume de France où l’on parlait flamand et non français. Certes, on est à une limite dialectale entre le picard et le flamand et il est probable que l’un influe sur l’autre, mais si on ne retrouve pas le nom criquet plus au sud pour désigner un jeu de batte et de balle, on est en droit de penser qu’un tel jeu n’existait pas en France.

Certains ont avancé l’idée d’une mauvaise interprétation du mot criquet qu’on aurait confondu avec croquet et le jeu du même nom. C’est possible, mais peu crédible. Criquet et croquet sont deux mots qui ne se confondent pas aisément et le croquet était très répandu en France à l’époque. Il est donc douteux que notre épistolier francophone ait fait une telle confusion.

En Flandres, sur les traces des origines du cricket...
En Flandres, sur les traces des origines du cricket…

C’est donc ailleurs qu’en France qu’il faut aller chercher l’origine du mot cricket. Et comme c’est dans les Flandres françaises qu’on le rencontre pour la première fois couché par écrit, c’est par là que nous commencerons.

Au XV° siècle, les Flandres parlent ce que l’on dénomme aujourd’hui le moyen néerlandais. Sans entrer dans les détails, disons que le néerlandais apparaît au VII° siècle entre autres dialectes germaniques autour des estuaires du Rhin, de la Meuse et de l’Escault et s’étend jusque dans toute la partie nord-ouest du Pas de Calais actuel. Seule la partie nord des Pays-Bas envahie à cette époque par la mer et les marais n’est pas concernée. Au fur et à mesure de la mise en place des polders l’aire néerlandaise s’y étendra à l’exception des îles de la Frise, qui auront développé leur propre dialecte germanique dans leur isolat jusqu’à l’état de langue. Très proche au début du dialecte germanique franconien, le néerlandais s’en détache progressivement pour former, de 1150 à 1500 ce que les linguistes dénomment le moyen-néerlandais, qui compte cinq dialectes (dont le flamand) mutuellement compréhensibles, mais désormais inintelligibles aux oreilles des locuteurs des dialectes de la langue allemande en voie de formation.

Au cours de cette période, ces dialectes néerlandais tendent à l’unification du fait du développement de l’intensité des échanges commerciaux. Il faudra attendre la révolte néerlandaise protestante contre les Espagnols pour que le néerlandais s’unifie. Seul le flamand, dont l’aire dialectale occupe la rive sud de la Meuse, le nord et l’ouest de la Belgique actuelle, se retrouve alors coupée d’avec le reste des Pays-Bas du fait de la volonté de ces villes de ne pas rompre leurs liens avec la France et le Saint-Empire Germanique aux mains des souverains espagnols, conserve son autonomie. Mais nous n’en sommes pas encore là en 1478. Le flamand participe donc toujours, à ce moment-là, du processus d’unification progressive.

Ce rapprochement marque la traduction linguistique d’un resserrement des liens entre villes au sein de toute cette aire linguistique dans le cadre d’une multiplication des échanges commerciaux entre Méditerranée et Mer du Nord. C’est donc dans ce cadre de rapprochement des dialectes que le terme déformé à la française criquet apparaît en Flandre.

On retrouve notre criquet en moyen-néerlandais sous la forme cricke, qui désigne un bâton, mais pas du tout un bâton planté dans le sol, mais plutôt un bâton en forme, à une extrémité, de crochet, comme l’ont les bergers quand il s’agit de récupérer un mouton. Le problème est que l’élevage de mouton n’était pas particulièrement développé en Flandre. Si les manufactures lainières étaient nombreuses, ce n’est pas sur place qu’on récupérait la laine, ou très peu, car sa qualité laissait à désirer. Les commerçants flamands allaient chercher leur matière première en face, de l’autre côté de la mer, en Angleterre, dans le Kent, le Sussex et le Surrey au sud et au sud-est de Londres dans les North Downs, les South Downs et les Wealds, toutes régions d’élevage de moutons. Ces collines et ces pâturages avaient la réputation de donner la meilleure laine du monde, plus facile à traiter et plus solide.

Jeux de crosse et de balle au moyen-âge
Jeux de crosse et de balle au moyen-âge

Et les bergers, qui les gardaient, pratiquement tous des enfants ou des adolescents, avaient du temps devant eux. Il est probable qu’ils jouaient avec des balles de laine qu’ils s’envoyaient en la faisant rouler par terre et qu’ils frappaient avec leur bâton pour l’empêcher de toucher une porte de grange comme avec une crosse de hockey sur gazon, cela déjà bien avant l’arrivée des premiers commerçants flamands. En effet, et nous aurons l’occasion d’y revenir, les jeux de batte et de balle étaient très répandus, sous diverses formes, en Angleterre.

Les commerçants flamands eux aussi, avaient du temps. Ils arrivaient au moment de la tonte et devaient attendre que la laine soit rassemblée en lots avant de l’acheter. Ils voyaient jouer les jeunes bergers et soit se sont se joints à eux soit ont repris le jeu en jouant entre eux, soit les deux.

Bien entendu, ces enfants n’avaient pas attendu les commerçants pour désigner les choses.

La situation linguistique de l’Angleterre dans le Haut Moyen-âge est la suivante : une aristocratie qui parle français, même si c’est de moins en moins, et le peuple des campagnes (l’immense majorité de la population) qui continue de parler un anglo-saxon de plus en plus dilué. Or, en vieil anglais (anglo-saxon), le mot bâton de berger s’écrit crycc, qui est très proche du moyen néerlandais cricke. Il est donc probable que, de retour dans les Flandres, les mêmes commerçants aient rapporté le jeu lui-même, et avec lui sont vocabulaire, très proche du leur. Le jeu a fait son chemin dans les Flandres où d’ailleurs, aussi bien en Belgique qu’aux Pays-Bas, il est resté présent. Ces derniers sont d’ailleurs la meilleure équipe non britannique d’Europe, ce qui est loin d’être le cas de la France.

Ce jeu a fait son chemin jusqu’à la ville flamande alors de Liettres où un épistolier l’a francisé dans un courrier adressé à Louis XI sous la forme de criquet. N’en déplaise aux adepte du Liettres Challenge, le criquet n’existait dans le royaume de France que dans les Flandres et nulle part ailleurs.

Le cricket fut au moyen-âge un sport traditionnel de gardiens de mouton du sud-est de l’Angleterre que des commerçants flamands rapportèrent chez eux et lui permirent, d’ailleurs, de s’étendre en Angleterre même, à Londres et au-delà.

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Les deux images ci-dessus sont tirées du manuscrit flamand Les heures de Ghistelle du XIV°siècle qui date du XIV° siècle, soit plus d’un siècle avant la mention de criquet.

Cela dit, il faut rester prudent, car il s’agit probablement d’un jeu de batte, de balle et de base, connu sous le nom « balle au tabouret » ou « balle au piquet », qui consistait à frapper la balle en l’air en s’efforçant d’éviter qu’elle touche un tabouret, du type tabouret de prière d’église. La balle, elle était envoyé par un lanceur se tenant sur une base et dont l’objectif était justement de faire tomber le tabouret ou le piquet ou n’importe quel objet décidé par les deux joueurs. Si le lanceur y parvenait, le batteur était éliminé et, en général, le lanceur prenait sa place. Si le batteur réussissait à taper la balle, il allait jusqu’à la base du lanceur et revenait devant le tabouret ou le piquet. Le lanceur était alors éliminé et laissait la place à un autre joueur. Si aucun ne réussissait on recommençait.

On peut retrouver là des principes basiques du cricket, mais le fait que la balle soit lancée en l’air l’apparente davantage à d’autres formes de jeu de batte, de base et de balle telles que le base-ball. Le cricket jusqu’au XVIII° siècle se jouait en faisant rouler la balle vers le guichet et les battes s’apparentaient plutôt à des crosses de hockey sur gazon.

Avant le début du XVII° siècle, il n’existe pas de règle établie de cricket ni d’aucun autre jeu de batte, de base et de balle. En fait, en Angleterre et en Irlande, on joue beaucoup à ce type de jeu un peu partout avec toutes sortes de variantes. Mais le cricket proprement dit reste joué essentiellement dans le sud-est de l’Angleterre.


Une réflexion sur “Aux origines du cricket

  1. Le texte de Jean Jules Jusserand, proche du Baron de Coubertin, de 1901 dans Les sports et jeux d’exercice dans l’ancienne France page 299 est on ne peut plus clair sur l’origine française du Cricket et intègre déjà la référence de Liettres 1478. Liettres ne revendique pas d’être le lieu de la création du cricket mais d’être la plus ancienne trace mondiale liée au cricket. Et pour l’instant, à ce jour, c’est incontestable 😉

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