C’est une vieille superstition qui ne repose sur aucune étude scientifique. D’ailleurs, la seule véritable étude sur le sujet à démontrer l’ineptie de cette superstition. Et pourtant, elle conduit encore à voir des personnes, parfois par millier, se tenir sur une seule jambe pour combattre le mauvais sort. Car le cricket, voyez-vous, est victime d’une étrange malédiction qui prend racine entre quelques bouts de bois, les guichets du cricket, et le célèbre héros de la Royal Navy, l’Amiral Nelson. Si le chiffre de la bête est le 666, celui de la malédiction de « Nelson » est le 111.

Au cricket, Nelson est le surnom donné au score de 111, qu’il soit atteint collectivement ou individuellement. Si vous faites un double Nelson, vous avez donc scoré 222. Triple Nelson, 333. Et c’est un mauvais présage, celui de votre défaite imminente. Mais pourquoi donc ? Là dessus, le monde du cricket se montre nébuleux. 111 fait naturellement référence aux guichets, sans leurs bails (ou wickets) qui forme donc le chiffre 111 à ce moment là. Forcément, si vous êtes batteur et que les guichets derrière vous n’ont plus leurs bails, cela signifie que vous êtes éliminés. Ce qui n’est bon ni pour vous, ni pour votre équipe. Ceci est logique et on pourrait en rester là.
Mais non, l’histoire n’est pas finie. Car 111 renvoie également à un fameux personnage, évoqué plus tôt, l’Amiral Nelson (Lord Nelson pour les anglais).
Pour nous français, Nelson est synonyme de défaite, celle de la marine napoléonienne à la bataille navale de Trafalgar. Pour les britanniques, Trafalgar est synonyme de victoire et de tragédie car son héros, le commandant de la flotte anglaise, Horatio Nelson, 1er Vicomte de Nelson, Duc de Bronté, y meurt des suites d’une blessure par balle le 21 octobre 1805. Sa dernière blessure mais pas sa première. Le 12 juillet 1794, lors du siège de Calvi en Corse, il est touché à l’oeil droit par des éclats de pierre et du sable, qui servait à protéger sa position, projetés par un tir français. Il retourne rapidement au combat mais son œil droit ne s’en remettra jamais. Nelson devient borgne. En 1797, Nelson se trouve en Espagne et part à l’assaut de Santa Cruz de Tenerife afin d’y capturer un navire espagnol et sa riche cargaison. Lors du dernier assaut, son bras droit est touché par un tir de mousquet, causant de multiples fractures à son humérus. Transporté devant le chirurgien, il refuse d’être soigné, déclarant « Laissez moi tranquille ! J’ai encore mes jambes et un bras ». Au final, une partie du bras est amputé. Une demi-heure après, Nelson est à nouveau en train de donner des ordres à ses capitaines. Néanmoins, il perd la bataille.

111. One eye, one arm, one leg. 111 signifierait les trois grandes blessures de Nelson au combat, la dernière « one leg » se référant à Trafalgar. Or, Nelson n’a jamais perdu une jambe à Trafalgar. Il reçoit une balle qui lui transperce un poumon puis la colonne vertébrale avant de s’immobiliser dans les muscles dorsaux. Il meurt trois heures après. Se sachant condamné, il donnera pourtant jusqu’au bout ses ordres avant de prononcer ses dernières paroles « Dieu et mon pays ». Il conserve donc ses deux jambes dans la mort mais on peut imaginer que « one leg » fait référence à son incapacité à marcher après sa blessure à la colonne vertébrale. Une autre théorie suppose que la « one leg » parlerait d’une autre partie sous la taille mais il n’est fait mention nulle part que Nelson perdit son pénis ou une testicule dans la bataille. Et même si cela avait été le cas, peu de chances que les anglais aient rapportés un tel fait sur leur héros. Comment oser souiller sa mémoire avec un si infâme détail ?
Une autre théorie déclare que 111 se référerait à trois victoires de Nelson : Le Nil (pour nous la bataille d’Aboukir), Copenhague et Trafalgar. Bien que la référence entre de grandes victoires et une élimination ne soit pas très logique pour surnommer une malédiction, on peut estimer que la fin tragique de Nelson apporte justement la logique manquante. Car, finalement, à Trafalgar, Nelson fut « All Out ».
Cette malédiction, superstition du cricket anglais qui s’est popularisée dans le monde du cricket, s’est finalement trouvée un écho en Australie où le nombre maudit, « le nombre du Diable » est le 87. Nous y reviendrons dans un prochain article certainement. Mais cette malédiction du 111, ou « Nelson », n’a pas tenu bien lourd face à une étude sur son cas. Elle y a pourtant survécu.
En 1990, le magazine The Cricketer a remarqué que le chiffre 111 n’était pas le chiffre où les bails des guichets tombaient le plus. En fait, le vraie chiffre maudit est tout simplement le zéro ou « duck » en raison de la forme en œuf de canard du « 0 ». On est bien loin des malédictions du baseball qui pour beaucoup ont tenu des décennies que ce soit la malédiction du Bambino ou celle du Captain Eddie Grant. La première a duré 86 saisons, du moment où les Red Sox de Boston vendirent fin 1919 le grand Babe Ruth (alias The Bambino ou The Babe) aux Yankees de New York. Durant 86 ans, cette équipe ne remporta plus les World Series comme pour la punir d’avoir vendu le plus grand joueur de baseball de tous les temps et malgré être passée proche du titre entre temps. La malédiction prit fin en 2004. Pour la seconde, elle dura de 1954, année où les Giants de New York déménagèrent à San Francisco en oubliant la stèle commémorative du Captain Eddie Grant (mort en France durant la 1ère Guerre Mondiale et ancien joueur de l’équipe), jusqu’en 2010, où les Giants remportèrent à nouveau les World Series. Encore aujourd’hui, les Hanshin Tigers de la Nippon Professional Baseball subissent la malédiction du Colonel Sanders depuis 1985. Rien comparé aux Cubs de Chicago qui subissent, eux, la malédiction de Billy le bouc et qui n’ont plus gagné les World Series depuis 1908. Ils sont les losers numéro 1 du sport mondial.

Alors, que penser de ce 111 ? Nelson a-t-il maudit le cricket ? The Cricketer répond non. Mais que penser alors de ce Test-Match de 1994 entre l’Afrique du Sud et l’Australie. L’Afrique du Sud doit jouer l’équipe des Aussies qui domine son sujet sans son meilleur joueur Kepler Wessels, blessé. Lors de la dernière journée, les australiens doivent seulement marquer 117 courses. Rien de plus facile pour cette équipe. Pourtant, les Protéas, surnom des sud-africains, vont contenir les assauts australiens et les cantonner sur cette journée à 111 courses.
Incroyable n’est-ce pas ? Alors que dites vous de celui-ci. Test-Match à Newlands, terrain de cricket de Cape Town en Afrique du Sud, entre les locaux et, encore, l’Australie. Nous sommes le 11 novembre 2011. Il est 11h11 et l’équipe sud-africaine a besoin de 111 courses pour gagner. Impossible avec Nelson. Plus le choix, il faut alors procéder à une étrange cérémonie de désenvoûtement collectif, à l’instar du rally cap en baseball. Sauf qu’ici, on ne retourne pas de casquette. On lève une jambe. One leg. Il faut exorciser l’Amiral. Et ce jour là, le public se retrouve sur une jambe dans les tribunes à la demande de l’équipe. Même l’arbitre, Ian Gould, s’y met. Il faut tenir bon jusqu’à 11h12 pour repousser la malédiction. L’Afrique du Sud remportera le match.

Ian Gould n’est pas le seul arbitre à se mettre à l’exorcisme de Nelson. Le plus connu est David Shepherd, ancien joueur devenu l’un des arbitres les plus connus du cricket mondial. Une légende. Il prenait l’habitude, lors d’un Nelson, de rester sur une jambe. Ce qui amusait les spectateurs car c’était un homme à la corpulence fort généreuse et on imagine l’effort que cela lui demandait, notamment en terme d’équilibre. Mais pas étonnant qu’il fut un habitué de cette technique, lui qui joua pour le Gloucestershire, région d’Angleterre où, dit-on, est née justement cette fameuse superstition…
Enfin, on ne peut terminer cet article sans parler de l’équipe de Nelson, une région de Nouvelle Zélande. Cette équipe joua notamment des matchs de first-class cricket (matchs de cricket de trois jours ou plus) de 1874 à 1891. Lors du premier inning de son premier first-class cricket match en 1874, l’équipe marqua 111 courses avec match nul. Lors du dernier inning de son dernier match de first-class cricket, elle marqua seulement 111 courses et perdit le match par un wicket. Hasard ou Malédiction ?

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