« This Durban monstrosity ». Voilà comment, le célèbre journaliste Sir Neville Cardus, spécialiste du cricket anglais, nomma le match de first-class cricket qui opposa l’équipe d’Angleterre à celle de l’Afrique du Sud à Durban en mars 1939. Cette rencontre reste dans l’histoire du cricket comme le plus long first-class match jamais joué… et le dernier des Timeless Test.
C’est en 1926 que se joue le premier Timeless Test. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un match sans limite de temps. Une première. Il faut dire que l’enjeu est grand. Cette année là, l’Angleterre reçoit l’Australie pour se disputer une fois encore le plus célèbre des trophées de l’histoire du cricket, The Ashes. Les rencontres se disputent à l’Oval, le fameux terrain de cricket de Kennigton à Londres. Les deux équipes ne peuvent se départager au bout des 4 premiers matchs. Il est donc décidé de faire un dernier match sans limite de temps pour obliger la rencontre à accoucher d’un vainqueur. Et l’Angleterre remportera les Ashes.
Finalement, l’idée fait son chemin. On se dit que ces Timeless Test permettent de décider d’un vainqueur. Il est vrai que dans la courte histoire de ces rencontres, de 1928 à 1939, seuls deux Test Matchs finiront à égalité.

C’est le cas pour le dernier d’entre-eux, notre sujet du jour, le plus long test-match de l’histoire du cricket. Nous sommes le 3 mars 1939 à Durban en Afrique du Sud. La sélection nationale hôte reçoit l’équipe d’Angleterre. C’est le premier jour du match. Et ce sera loin d’être le dernier puisque le match se finira le 14 mars. Entre temps, les deux équipes auront joué durant neuf journées. Un jour de match sera annulé à cause de la pluie. Les deux autres journées sans jeu seront les dimanches, jours chômés où on ne joue pas au cricket.
La partie aurait pu encore continué ou donné un vainqueur ce 14 mars mais ce dernier jour fut contrarié par le mauvais temps, empêchant le jeu de se dérouler correctement. Les officiels sud-africains et ceux du Marylebone Cricket Club, prestigieux club de cricket qui faisait, à l’époque, office à la fois de fédération internationale et de fédération britannique, se réunirent pour savoir si le match pouvait être encore joué le lendemain. Mais l’équipe anglaise avait un impératif. Elle devait rejoindre en train Cape Town pour un trajet de plus de 1600 kilomètres afin de prendre son bateau le 17 mars, au risque de rester bloquer plusieurs jours encore en Afrique du Sud. On pensa bien à jouer un jour de plus et à faire partir l’équipe en avion mais au final, par sagesse, le match fut déclaré « match nul » et les anglais embarquèrent dans leur train après 46 heures de jeu et pas mal de « tea times ».

Les anglais n’étaient qu’à 42 courses de la victoire avec encore 5 guichets dans la main. La victoire, si la pluie ne s’en était pas mêlée ce jour là, auraient eu peu de chance de leur échapper. D’ailleurs, les 654 courses scorées lors du 4ème inning reste le plus haut total jamais atteint dans un 4ème inning de match First Class. Autre record, ce Timeless Test a vu le total hallucinant de 5463 lancers. Et les équipes ont accumulé un total combiné de 1981 courses, un autre record. L’Angleterre a marqué 970 courses et l’Afrique du Sud 1,011. Enlevez le zéro et vous avez un… Nelson ! Est-ce la raison pour laquelle les sud-africains n’ont pu l’emporter?.
Le Timeless Test de Durban a sonné le glas de ces matchs sans limite de temps. La presse n’y va pas de main morte comme on l’a vu avec Sir Cardus. Le Times renchérit en déclarant « qu’un match sans la discipline imposée par le temps… est nul et vide de tous les éléments qui vont faire du cricket un match enchanteur ce qu’il est naturellement ». Deux semaines plus tard, le Wisden Almanak le dit « Le match sans limite de temps, nous pensons qu’il est à présent mort ». Et il a raison. Les difficultés dues à son organisation, surtout en cas de mauvais temps comme à Durban -il pleuvait presque tous les soirs et les joueurs devaient remettre le tapis du pitch en état chaque matin-, ainsi que la torpeur de certains matchs ont signé sa disparition du paysage des matchs de cricket. Ce qui avait fait son charme, cette idée d’une partie éternelle du plus merveilleux des jeux, avait fini par faire son malheur.

Pourtant, cette idée n’avait pas complètement disparu puisqu’aux débuts des années 2010, l’ICC proposa que la finale de sa nouvelle compétition, l’ICC World Test Championship, se joue sans limite de temps. La compétition devait se dérouler en 2017 mais des difficultés financières firent capoter le projet en 2014.
Est-ce à dire que cette idée a définitivement disparu ? Pas chez les passionnés de cricket puisque, depuis 2003, le Guinness Book des Records répertorie les marathons de cricket qui tente de faire durer le jeu, de manière continue, le plus longtemps possible. En juin 2003, un club franco-anglais, le Cricket Club Des Ormes ouvrit le bal avec un match de 26 heures 15 minutes joué à Dol en Bretagne au château des Ormes. Mais l’actuel détenteur du titre est le Loughborough University Staff Cricket Club dans le Leicestershire. Un match qui fut joué en juin 2012 et qui dura 150 heures 14 minutes. Seulement.
Un record à battre. Un record à faire revenir en France peut-être ?


Et en bonus, des images d’archives du 3ème Test Match entre les deux équipes lors de la tournée anglaise de décembre 1938 à mars 1939. Ce 3ème Test Match se passa vers la fin janvier 1939 et vit l’Angleterre gagner après 4 jours de matchs (dont un chômé). Un match de petits joueurs, en somme.