Un Perera de rêve

Notre chroniqueur Yves Tripon a pointé son regard affûté sur le tout récent Test match Afrique du Sud – Sri Lanka. Retour sur l’une des plus belles pages de cricket pour notre chroniqueur avec un comeback incroyable.

Qui n’a pas assisté ce samedi 16 février 2019 à la victoire du Sri Lanka lors de son premier test contre l’Afrique du Sud a raté l’une des plus belles pages de cricket.

Dominés lors de la première manche et pratiquement donnés pour vaincus lors de la seconde, les Sri-lankais se retrouvaient à un guichet de la défaite suite à l’élimination de leur neuvième joueur sur la liste des batteurs, à savoir Rajitha (qui lui-même n’avait marqué qu’une course). On n’attendait aucun miracle de la part de Fernando, son remplaçant, excellent lanceur, mais assez mauvais batteur. Bref les carottes semblaient cuites. Mais voilà, dans un pays particulièrement connu pour l’excellence de sa cuisine végétarienne, les carottes, on sait les cuire… Même quand on joue en Afrique du Sud. Parce qu’il y avait Perera…

Rentré au 18ème over en quatrième position de la liste des batteurs, il était encore là à l’entrée de Fernando à la cinquième balle du 69ème over. Il en était alors à 86 runs marqués.

Dans la paire de batteurs sri-lankais, le point faible était bien évidemment Fernando. Aussi, lui et Perera ont-ils tout de suite installé comme tactique de laisser ce dernier marqué, tandis que Fernando devait jouer hyper-défensif. Et ils ont montré là une rigueur de jeu absolument remarquable.

D’un côté, nous avions Fernando esquivant les balles avec souplesse chaque fois que celles-ci ne pouvaient descendre le guichet, n’opposant sa batte qu’en dernier recours. De l’autre, Perera battait avec sûreté, utilisant la moindre erreur des lanceurs sud-africains pour non seulement grappiller des runs, mais aussi marqué des quatre et même des six à l’effet démoralisateur sur l’équipe d’Afrique du Sud.

Cette dernière vit son avance de 77 courses à l’arrivée de Fernando progressivement s’éroder face à la batte de Perera. Et l’espoir changea progressivement de camp. Même Fernando parvint à marquer 5 petits runs. Il y eut aussi un peu de chance, mais peut-on parler encore de chance quand Perera montra une telle maestria dans la tenue de sa batte et que ses adversaires sud-africains se mettaient de plus en plus à désespérer et à perdre leurs nerfs ?

Et l’on finit par voir l’impensable, non seulement Perera avait réussi son century, mais il passait les 150 peu avant d’achever la bête par un superbe quatre, qui lui-même avait été précédé d’un six.

Et après, certains parlent d’ennui au cricket test…

Jusqu’à la dernière balle, rien n’est jamais joué.

Une combinaison individuel/collectif

Le propre de ce sport est d’être une combinaison d’actions individuelles et collectives. Sans Fernando, Perera n’aurait jamais réussi cet exploit. Mais c’est aussi parce que l’équipe sud-africaine a jugé trop tôt que l’affaire était réglée (et nous le pensions tous) qu’elle a fini par être vaincue, incroyablement vaincue.

Ce mélange individu-collectif n’a jamais été aussi brillamment exprimé ce samedi.

Certes, d’autres sports le manifestent.

Ainsi, au football, l’art du dribble et de l’accélération, de la passe et du tir, se combinent avec celui du placement et de la vision globale et instantanée du jeu, mais tout cela s’acquiert avec de l’entraînement et la répétition infinie de gestes engagés collectivement apprennent aux joueurs à devenir complices les uns des autres. Et c’est ce qui rend le football si attractif (quand cela fonctionne évidemment).

Mais au cricket, il y a plusieurs types de complicité et d’organisations. Alors qu’au football, le plan stratégique reste d’ordinaire le même du début à la fin du match, au cricket, particulièrement en première classe ou test, la stratégie peut changer du tout au tout.

À la batte, deux joueurs peuvent jouer à qui marquera des deux le plus de runs. Ils peuvent aussi décider d’user les lanceurs en leur opposant un jeu défensif les épuisant. L’un peut seul mener ce travail (jouer l’ancre), tandis que l’autre marque (c’est ce qui s’est passé avec la paire Perera-Fernando). Ils peuvent mener cette tactique de manière alternative. L’un est l’ancre, puis c’est l’autre. Le choix tactique peut être opéré dès le départ.

C’est là alors le fruit d’une option prise par le capitaine lorsqu’il dresse l’ordre d’entrée des batteurs. Et, bien évidemment, tout cela se modifie au gré des aléas du match (hormis l’ordre des batteurs). Ces derniers peuvent être le fruit de défaillances individuelles, en règle générale inévitables, aussi bien du côté des batteurs que de leurs adversaires mais aussi d’ordre climatique (vent, menaces de pluie, etc.).

Mais la réussite dépend toujours de la complicité des deux batteurs, complicité qui ne s’apprend que par la pratique à l’entraînement et en match, la capacité à saisir les ruses du lanceur, l’état de forme de celui-ci et le sien propre, la perception du placement de la chasse et, bien sûr, l’art de la tenue de la batte.

Le lancer, de son côté, doit toujours s’effectuer en fonction du placement de ses coéquipiers, les chasseurs. À l’inverse, ces derniers doivent toujours se placer en fonction du lancer que va opérer le lanceur. C’est là que le rôle de capitaine est fondamental. C’est avec lui que tout s’opère, tout se discute, tout s’organise. C’est lui qui va choisir le lanceur : lanceur rapide, lent, mi-lent, mi-rapide. C’est avec lui que le lanceur va choisir son type de lancer : court, long, dans les pieds, rebond pour balle haute, etc., pour un lanceur rapide ; en vrille, masqué, rétro, lift, etc., pour le lanceur lent ou mi-rapide à effet.

En fonction de la réplique possible du batteur adverse, les chasseurs se disposent : rideau, proches ou en bordure de touche, etc. Cela dépend aussi de leurs capacités individuelles : rapidité, réflexes, agilité, etc. Si le capitaine décide en dernière instance, ce sont tous ces paramètres, qui exigent une bonne compréhension de l’état de son équipe et de ses potentialités, qui le guident dans ses choix. L’échec ou la réussite d’une équipe à la chasse est donc à la fois un résultat collectif et individuel.

Que ce soit à la batte ou au lancer, c’est cet équilibre et cette combinaison individuel/collectif qui sont déterminants. Si l’un est défaillant, l’autre doit aussitôt le compenser.

Le Sri-Lanka vient d’admirablement le démontrer.

Mais d’autres exemples sont terriblement parlants.

Ainsi, à la chasse, durant de longues années, un certain Collingwood, dont l’agilité n’était pas sans rappeler celle d’un gardien de but de légende, Lev Yachine (pour ceux de ma génération qui ont pu avoir le bonheur de le voir dans ses œuvres à la télévision), a désespéré de nombreux formidables batteurs adversaires de l’Angleterre. De nos jours, toujours pour l’Angleterre, Anderson est capable de renverser un match en éliminant jusqu’à quatre batteurs en un seul over. Le Sri-Lanka eut aussi son Anderson avec Malinga (ou inversement l’Angleterre son Malinga avec Anderson). À la batte, des Root pour l’Angleterre ou des Warner pour l’Australie ont été des pièces maîtresses.

Mais évidemment, on ne saurait oublier le plus grand batteur actuel, Virat Kohli. L’Inde lui doit ses plus beaux succès, comme récemment en Australie en janvier dernier.

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé

Mais toute médaille a son revers.

Un individu peut compenser des déficits collectifs, mais souvent, c’est au prix de l’arbre qui cache la forêt.

Ainsi, l’Australie a vu son capitaine, Steven Smith, et son meilleur batteur, David Warner, exclus des compétitions internationales pour avoir triché en grattant la balle pour lui donner, par l’usure provoquée, un effet plus difficile à récupérer pour le batteur adverse (en l’occurrence un Sud-Africain). Depuis l’Australie est sérieusement à la peine.

L’été dernier, lors de sa tournée en Angleterre, l’Inde s’est retrouvée sans Kohli, blessé et contraint d’aller se faire soigner, elle a été battue.

« Il était trop fort pour nous »

Ce revers, fort heureusement pour lui, le Sri-Lanka ne l’a pas connu. Le splendide Perera nous a livré un match de toute beauté. Ce dernier, conscient d’avoir joué, comme il l’a dit, « le plus beau match test de sa carrière avec le Sri-Lanka », a reçu un superbe hommage de la part de Faf du Plessis qui a déclaré : « Il était trop fort pour nous ». Il a ajouté : « C’est ainsi que doit être le test ».

On ne saurait mieux dire.

Photo Une – crédit : Anesh Debiky/AFP/Getty Images 


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