Esprit du Cricket accueille un nouveau chroniqueur dans ses rangs, Adrien Jdb. Et pour sa première, et brillante, chronique, Adrien nous propose l’incroyable aventure qui a permis au cricket féminin pakistanais d’exister, une lutte pleine de passion et de convictions.
À l’hiver 1988, à Karachi, deux sœurs, issues de la bourgeoisie Pakistanaise, rêvent de représenter leur pays lors de la coupe du monde de cricket féminine. Un long combat mené d’obstacles, d’héroïsme et d’anecdotes incroyables.
Pays complexe séparant l’Iran et l’Inde, le Pakistan est un jeune État à la réputation compliquée en occident. Longtemps un point d’appui des intérêts États-uniens dans la zone, il fait surtout la Une des journaux depuis des années pour les groupes Islamistes implantés et la position ambiguë des différents gouvernements avec eux. Peuple souvent maltraité par les dictatures militaires appuyés par l’occident, difficultés à trouver une identité après la partition avec l’Inde puis le Bangladesh, un héritage compliqué à gérer issu de l’empire des Moghols et une société qui demeure extrêmement patriarcale, le Pakistan continue d’avancer avec ses contradictions et ses espoirs.

Les espoirs comme souvent passe aussi par des luttes d’émancipation des Femmes et, dans cette histoire, elle est liée au cricket. Dans les années 1980, les sœurs Kahn, Sharmeen et Shaiza, respectivement 16 et 19 ans, sont passionnées du sport national Pakistanais. Elles sont filles d’un riche marchand de tapis et, physiquement, elles sont grandes et fortes. Pour vivre leur passion du cricket, elles voyageront en Angleterre et décideront que c’est dans leur pays qu’elles voudront jouer. Une première tentative s’amorcera à l’hiver 1988, lorsqu’elles décident de trouver d’autres femmes pour affronter une équipe d’hommes à Karachi. Malheureusement, le match fut annulé par le commissaire de police local pour risque d’émeutes en raison des normes religieuses et traditionnelles jugeant anormales la pratique du sport féminin en public. Qu’importe, les sœurs Khan décident d’affronter une autre équipe de femmes mais la revendication devient scandale et toutes les tentatives sont de nouveau avortées. Alors que Benazir Bhutto avait crée un vent d’espoir en gagnant les élections, après le régime militaire sanglant du général Zia-Ul-Haq, les changements ne sont pas à la hauteur des espérances et, Sharmeen et Shaiza sont parties en Angleterre pour leurs études et pratiquer le cricket où elles excellent Outre-Manche, à Leeds puis dans le Middlesex.

1992 passa. Le Pakistan gagna sa première coupe du monde de cricket, guidée par le président actuel du pays, Imran Khan. Mais en 1993, il n’y avait toujours pas de présence du pays à la coupe du monde féminine. De retour à Karachi, en 1996, et forçant le destin, Shaiza Khan enregistra la Pakistan Women’s Cricket Control Association (PWCCA) comme une entreprise et accéléra l’objectif d’être reconnue par la fédération de cricket Pakistanaise afin de pouvoir participer à la coupe du monde 1997. L’association fut reconnue et maintenant, il fallait trouver une équipe et surtout gagner la bataille idéologique de la reconnaissance du cricket féminin dans la société civile. Publications dans les journaux, bouche à oreille, une équipe fut constituée avec notamment Kiran Baluch, joueuse passionnée qui attendait cette opportunité du haut de ses 18 ans. L’équipe nationale du Pakistan féminine, encouragée par la ministre du sport Anita Gulam Ali, débuta par une tournée en Nouvelle-Zélande et en Australie, ponctuée par des défaites. Peu importe, l’aventure était en marche pour de bon.
Alors que la société civile semble accepter l’équipe, les sœurs Khan et leurs coéquipières durent malgré tout faire face à différentes difficultés . L’une d’entre elle étant qu’une association de cricket féminin nationale Pakistanaise, proche des hautes sphères étatiques, la PWCA, existait depuis les années 1970 et qu’elle revendiquait la légitimité de leur équipe, basée à Lahore malgré leur non-reconnaissance par la fédération Pakistanaise. Du fait de leur reconnaissance nationale et internationale mais aussi du soutien financier du père de Shaiza et Sharmeen, la PWCCA sera finalement la gagnante et celle dont on racontera l’histoire héroïque aujourd’hui.
De cette aventure naîtront des histoires exceptionnelle, comme celle de Sajjida Shah, seulement 12 ans en 2000 qui se mit en grève de la faim pour protester contre le refus de ses parents et des autorités de la voir quitter le territoire pour jouer un match à l’étranger. Ou d’une autre joueuse, qui faute d’argent, marcha de chez elle des centaines de kilomètres pour atteindre un bus qui l’amènerait à Lahore pour rejoindre l’équipe. La PWCA, toujours influente auprès de l’État, tenta coûte que coûte d’empêcher l’équipe nationale de participer à la coupe du monde, par exemple en demandant à les empêcher de sortir du territoire en les plaçant sur une liste qui répertorient les criminels. Malgré toutes ces embûches et les moyens du bord pour y faire face, l’équipe se présenta à la coupe du monde de 1997 et… perdit tous ses matchs !
La première victoire interviendra finalement en 2001 face aux Pays-Bas et Shaiza Khan continua elle, en tant que leader, de se battre contre la PWCA, les lobbies politiques et tous les obstacles qui se dressaient devant elle. En 2004, Baluch et Shaiza établirent un record hallucinant en marquant 241 points combinés en match international contre les Indes Occidentales, record jamais égalé aujourd’hui. Le record individuel de runs sera pulvérisé le lendemain par Baluch avec 242 points marqués !

Cette série fut la dernière entre Shaiza Khan et Kiran Baluch, avec la professionnalisation venante du cricket, la création du International Cricket Council et la mise sous tutelle des fédérations féminine par leurs homologues masculins. L’association de Shaiza Khan et la fédération Pakistanaise ne trouvèrent finalement pas de terrain d’entente pour continuer l’aventure et la Pakistan Cricket Board (PCB) devint finalement l’autorité principale y compris chez les féminines.
Kiran Baluch, en conflit direct avec la PCB, tirera sa révérence sur ces records incroyables et, avec Shaiza Khan, elles ont repris le cours d’une vie normale loin du potentiel statut de superstar qu’elles auraient mérité. Sharmeen Khan est elle décédée en décembre 2018 d’une pneumonie à seulement 46 ans. Sajjida Shah a poursuivi sa carrière de haut-niveau jusqu’en 2009. Ces pionnières ont ouvert la voie aux joueuses Pakistanaises de ces deux dernières décennies, notamment la grande star Sana Mir (que nous avons interviewé sur Esprit du Cricket, ndlr), mais aussi ont joué un rôle important dans l’émancipation des Femmes à travers le sport au Pakistan et dans le monde.
Sources :
http://www.thecricketmonthly.com/story/1202296/strong-arms–the-story-of-pakistan-women-s-cricket
https://www.scoreline.org/kiran-baluch-the-forgotten-super-star/
https://www.dawn.com/news/1337202
https://www.espncricinfo.com/story/_/id/25526464/sharmeen-khan-pioneer-women-cricket-pakistan-dies