Hashim Amla : Gentleman et héros discret de l’Afrique du Sud anti-apartheid

Près d’un an après avoir annoncé sa retraite sportive international, il est temps de revenir sur la carrière et la vie d’un des tous meilleurs batteurs du 21è siècle. Devenu un symbole malgré lui ?

A l’aube des années 2000, un talentueux joueur de Cricket affole l’Afrique du Sud dans la Durban High School. Il s’appelle Hashim Amla et l’attente est grande dans les médias et le monde du cricket, dans cette Afrique du Sud nouvelle. À l’époque, lui même reconnaît qu’il n’avait pas conscience de ce qu’il pouvait représenter dans le pays, les jeunes de son âge jouaient au cricket et la couleur de peau, l’ethnie ou l’appartenance religieuse dans son lycée n’avaient pas d’importance à leurs yeux. Pourtant, Hashim Amla, Sud-Africain d’origine Indienne (Gujarati) musulmane, attirait d’autant plus l’attention à la fois dans le milieu conservateur et raciste de la société, et dans le milieu progressiste anti-establishment à la recherche de héros dans le sport.

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Le jeune Hashim Amla ne sait pas encore quelle incroyable carrière il va réaliser

Le racisme, de son propre aveu, il le rencontrera surtout à partir de sa carrière adulte en club. Mais il prit également conscience de l’énorme symbole qu’il représentait pour les populations non-blanches d’Afrique du Sud et pas seulement dans la diaspora Indienne du pays. Alors que la fédération nationale de cricket du pays portait encore les stigmates de tant d’années d’apartheid, les membres dirigeants noirs ont perçu l’émergence d’Amla comme une grande possibilité de pouvoir réformer en profondeur le cricket dans le pays. Dans la population noire en général, il devint aussi un joueur exceptionnellement aimé, eux qui refusaient toujours de supporter leur équipe nationale, tant la prédominance blanche était importante, même après l’arrivée de Nelson Mandela. Nombreuses des problématiques entre cricket et rugby étaient d’ailleurs fortement liées.

Hashim Amla avait tout pour devenir ce héros qu’il est devenu, car il était à la fois ce jeune joueur issu de la population non-blanche, que tant de personnes attendaient, mais il représentait également une forme de modération et de fidélité au cricket traditionnel, qui ne froissait pas une grande partie des blancs d’Afrique du Sud. Issu de la petite bourgeoisie, brillant à l’école, réservé, pas réellement militant politique, son passage dans le cricket national apporta pourtant bien plus symboliquement que ce dont il avait conscience.

Depuis ses débuts en Test Match en 2004 pour son équipe nationale, Hashim Amla a accumulé les courses, les records et les apparitions médiatiques, transformant progressivement la représentation dans le monde de l’équipe d’Afrique du Sud et forçait sa fédération à modifier également sa conception du sport à l’intérieur de ses frontières : non le cricket n’est pas un sport pour les blancs et chaque match, de par son style élégant, Amla le rappelait à toutes et à tous en éblouissant les amateurs de ses plus beaux gestes. Et chacun d’entre nous doit se rappeler qu’à l’aube des années 2000, c’était loin d’être gagné car les élites blanches racistes gardaient toujours un pouvoir conséquent dans les fédérations sportives et les médias. Ce fut la raison pour laquelle, le pays dût avoir recours aux quotas dans le cricket afin de lutter contre la mainmise de ces élites blanches dans ce sport. Évidemment, nombreux sont les médias conservateurs qui s’empressent de limiter Hashim Amla à un « symbole » des quotas.

Australia v South Africa: Game 3
Hashim Amla, héros malgré lui ? – crédit : Getty Images

Mais les exploits de Amla en ODI ont vite ridiculisé ces allégations pendant sa course aux records où il deviendra le plus rapide à atteindre les 3000, les 4000, les 5000, les 6000 et les 7000 courses dans ce format de jeu. Seule la légende Virat Kohli le devança pour les 8000 runs. Et pour couronner son rayonnement, à la fois en test match et en ODI, il devint capitaine de l’équipe nationale entre 2014 et 2016 pour les tests.

Nul doute que ses performances et sa personnalité si appréciée lui ont permis de faire valoir son droit de ne pas mettre de côté sa religion durant sa carrière sportive. Car un des aspects centraux du symbole Amla repose, outre la lutte contre le racisme dans le cricket, sur la lutte contre l’islamophobie. Avec sa longue barbe noire et sa fierté d’être musulman, Hashim Amla dût en plus de sa couleur de peau, vivre le contexte nauséabond qui a suivi le 11 septembre et les stéréotypes du monde occidental sur l’Islam. Son apparence physique suffit au commentateur et ex joueur Dean Jones pour l’insulter de terroriste en plein match face au Sri Lanka. Les excuses de Dean Jones vinrent, arguant qu’il ne pensait pas être en direct lorsqu’il proféra ses insultes.

Et malgré le ridicule de ces explications, Amla finit par les accepter et passer à autre chose. Joueur admiré partout dans le monde, il est un modèle pour de nombreux joueurs musulmans notamment dans ses terres d’origine, ne renonçant pas à sa morale et son éthique au nom du business, comme ces nombreuses fois où il préféra payer une amende que de porter un sponsor de marque d’alcool présent sur le maillot de son équipe nationale. Le respect qu’il a acquis de par ses performances lui permirent d’ailleurs de ne pas rencontrer de polémique face à ces choix. Et quelles performances !

Seul Sud-Africain a réalisé un triple century contre l’Angleterre en 2012 , possédant les records énoncés précédemment au niveau international en runs pour les ODI’s, accumulant 9282 runs (dont 28 centuries!) en Test Match et 8113 runs en ODI, sa polyvalence éblouie d’autant plus que Amla pouvait être un excellent bowler à l’occasion !

Sa carrière de globe-trotter entre l’Afrique du Sud, l’Angleterre, l’Inde, les Caraïbes et le Bangladesh ont aussi laissé une grande empreinte, apprécié où qu’il aille. En août 2019, Hashim Amla annonça sa retraite internationale avec son style caractéristique, élégance, modestie et gratitude, provoquant une grande émotion dans le monde du cricket. Car au-delà de son empreinte sur le sport Sud-Africain, Amla a inspiré des millions de jeunes et de moins jeunes en devenant ce symbole qu’attendait toute une partie de son pays dans une situation toujours compliquée bientôt 30 ans après la fin « officielle » de l’apartheid. Joueur exceptionnel, aussi bien en Test qu’en ODI, Amla de nature si modeste n’a certainement pas conscience de ce qu’il représente mais finalement n’est-ce pas une manière d’être un héros avec l’esprit du cricket ?

Photo Une – crédits YellowMonkey/Blnguyen


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