
Il y a quelques mois de cela, nous nous demandions avec mon camarade passionné de cricket « Mais pourquoi y a-t-il si peu de joueurs racisés dans l’équipe Anglaise alors que l’immigration Sud-Asiatique et Caribéenne est si importante et alors même que l’Angleterre vante souvent son modèle multi-culturel ?« . Nous n’avions ni lui, ni moi de réponse. Et voilà qu’en recevant mon numéro mensuel de la revue « The Cricketer » paru en novembre, je trouvais une excellente tribune de George Dobell abordant cette même question et brisant le tabou. Esprit du cricket vous propose donc la traduction de cette tribune, dont nous apprécions la justesse.
Le cricket a besoin de prendre au sérieux la question raciale
Il y a quelques mois, je buvais un café avec Munir Ali, le père de Moeen (ndlr: pilier de l’équipe Anglaise). Munir était inquiet du manque d’opportunités dans le club de Warwickshire pour un jeune garçon membre de sa famille, Ismail Mohammed (neveu de Moeen).
Soudainement, j’eus un flashback. Il y a presque 15 ans, nous avions la même conversation dans le même café à propos de Moeen. Moeen, comme son frère Kadeer et son cousin Kabir, avait ressenti de la frustration en raison du manque de reconnaissance du club et avait décidé de partir du Worcestershire. Ismail, garçon de 16 ans au futur brillant, a décidé de faire la même chose.
Cela m’a attristé. Je connais quelques personnes impliqués dans le club de Worcestershire et suis absolument certain qu’aucun d’eux n’est raciste.
Et pourtant, cela continue de se passer. Quinze ans après que le départ de Moeen ait provoqué une onde de choc dans le club, rien ne semble avoir changé. Nous en sommes là, à la fin de la saison 2020 et Warwickshire n’a pas un seul joueur non-blanc dans son équipe première. Pas non plus un seul entraîneur non-blanc. Et tout cela malgré le fait que le club soit basé au centre de Birmingham, une ville avec une grande population multi-culturelle.
Rien de tout cela n’est intentionnel. En effet, il s’agit bien plus d’un échec dans la réussite initiale à réussir à comprendre et intégrer les communautés à Birmingham et sa périphérie. Mais cela dure depuis trop longtemps et cet échec pose de sérieuses questions.
Ce n’est pas juste Warwickshire d’ailleurs. Regardez à Yorkshire, un club avec Bradford dans sa zone géographique (ndlr: ville avec une très forte immigration Sud-Asiatique), le seul joueur Asiatique est Adil Rashid. Et celui-ci n’a pas joué un seul match first-class pour eux depuis 2017, un seul match T20 depuis 2018 ni un match List A depuis Avril 2019.
Et l’on peut continuer ainsi longtemps. En regardant vers Londres, où Middlesex n’a aucun joueur né dans la région non-blanc, à Gloucestershire, Somerset ou Durham, qui n’ont aucun non-blancs non plus. En 2019, seulement deux joueurs nés en Angleterre, éduqués dans l’état britannique, jouaient au cricket first-class. Une enquête du Daily Mail montrait que 12 des comtés first-class (ndlr : équivalent de la Premier League ou de la Ligue 1 en football) n’avaient aucun coach ou membre de staff Noir, Asiatique ou issu d’une minorité. Au moment de ces lignes, il n’y a aucun membre non-blanc dans la ECB (ndlr: fédération Anglaise et Galloise de cricket) ni de directeur de comté first-class.
Et si ces statistiques ne vous choquent pas, et elles devraient probablement vous choquer, il y a les témoignages de Ebony Rainford-Brent, Michael Carberry, Azeem Rafiq, Devon Malcolm et beaucoup d’autres. Vraiment, désormais, qui ne pense pas que l’on a un sérieux problème d’inclusion à ce niveau fait partie du problème.
Mais définir la problématique comme seulement raciale serait simpliste. En effet, le problème du cricket pourrait être plus lié à la question de la condition économique et des opportunités. Il se pourrait bien que notre sport n’exclue pas volontairement, simplement il n’en fait pas suffisamment pour inclure. Notre jeu étant bien trop absent des écoles d’état et de la télévision gratuite, des matchs internationaux coûtant bien souvent plus de 100 livres britanniques la journée et même le coût des All Stars, le programme pour enfant de la fédération Anglaise, il y a de nombreuses barrières pour arriver à notre sport. Comme le disent Les Simpsons: « Notre prix discrimine car nous ne pouvons pas« .

Le résultat de tout cela est que nos équipes ont construit une dépendance disproportionnée aux talents des écoles privées. La plupart de ceux qui arrivent jusqu’au top niveau ont bénéficié des meilleures installations, du meilleur équipement, de coaching privé, de voyages hivernaux outre-mer pour jouer et de ne pas avoir à travailler pour pouvoir se concentrer uniquement sur l’objectif de pouvoir progresser. Bien sûr, certains – comme Joe Root ou Jos Buttler – ont bénéficié de bourses scolaires mais il y a peu de doutes qu’un grand nombre de talents pas encore éclos n’ont pas eu ces opportunités.
Il y a quelques signes d’encouragement aussi. Il y a peu, Surrey lançait le African-Caribbean Engagement Programm (ACE) dans le but de fournir des opportunités aux jeunes de cette origine pour entrer dans les sections jeunes du club. […]
Tous ces constats sont bons, évidemment, mais nous avons besoin d’actions. Le plan d’action de la fédération pour l’Asie du Sud est bienvenue. Mais il se focalise principalement sur la participation au cricket. Et la problématique n’a pas vraiment de rapport avec la question de la participation des personnes issues de l’immigration Asiatique. C’est lorsque les joueurs tentent de franchir la marche vers le cricket professionnel que nous avons un problème. Nous avons besoin de plus de cricket sur les plateformes libres, nous avons besoin de plus de lien entre les comtés first-class et les périphéries urbaines qui souvent les entourent, nous avons besoin d’une meilleure représentation des communautés non-blanches et nous avons besoin d’un accès gratuit aux All Stars et certains matchs professionnels. Et plus que tout, nous avons besoin de reconnaître que nous avons un problème.
Et tout cela nous ramène à Azeem Rafiq et au Yorkshire. Rafiq, vous l’avez peut-être vu, avance que le racisme qu’il a vécu comme joueur au club l’a laissé au bord du suicide. Deux joueurs étrangers, Rana Naved-Ul-Hasan et Tino Best, ont dit qu’ils avaient été témoin des problèmes et le club a répondu en ouvrant une enquête. Ce qui semble être la réponse adéquate.
Mais l’on sent qu’il a fallu que le club soit traîné dans la boue pour qu’il en arrive à ouvrir une enquête. Les premières accusations de Rafiq ont été publiées dans une interview à Wisden.com le 17 août. Elles sont réapparues le 24 août dans The Cricket Badger. Lors de ces deux parutions, le club a refusé de commenter les propos de Rafiq.

C’est seulement lorsque ESPNcricinfo.com, avec son audience bien plus large, a publié une interview similaire, le 2 septembre que Yorkshire a été forcé d’ouvrir une enquête. À ce moment là, la présidence de l’ECB était au courant des allégations- le président Tom Harrison, qui est un avocat passionné du changement, appela Rafiq en personne quelques minutes après avoir lu l’extrait de ESPNcricinfo- et Yorkshire ne pouvait plus fermer les yeux.
Même à ce moment là, ils refusèrent de publier les termes de référence de l’enquête. Et il s’est avéré que le président du club surveillait le cabinet d’avocat engagé pour superviser leur travail. Gardez à l’esprit que l’équipe The Hundred basé à Leeds, Northern Superchargers, avait nommé comme coach principal un homme suspendu du cricket international pour avoir crié des obscénités racistes. Oui c’était il y a longtemps. Et oui, Darren Lehmann s’est excusé et mérite une seconde chance. Mais si vous étiez un jeune d’origine Asiatique dans la région, penseriez-vous que le problème est pris sérieusement?
J’écris à propos du cricket depuis plus de 20 ans. Et à travers chaque moment comme celui-ci, des personnes blanches m’ont dit que les choses s’amélioraient pour les personnes non-blanches dans ce sport. Les preuves ont tendance à montrer le contraire. Le temps est peut-être venu d’avoir un peu moins de patience et un peu plus de colère.
George Dobell, dans The Cricketer Novembre 2020 (p.12 et 13)
Un grand merci à The Cricketer qui nous a autorisé à reproduire la tribune de George Dobell dans sa traduction française.