Le cricket aux JO : réaliste ? Impossible ? Souhaitable ?

Il y a quelques jours, la légende mondiale du cricket, Sachin Tendulkar, était à Rio pour rencontrer le président du Comité International Olympique Thomas Bach, jouant les VRP d’un sport qui se verrait bien aux JO comme son cousin du baseball qui y fera un retour en 2020 pour les Jeux de Tokyo.

Si le cricket était un jour retenu par le CIO, il s’agirait également d’un retour après la brève et peu concluante expérience des JO de 1900 à Paris où la Grande-Bretagne avait glané la médaille d’or aux dépens de la France. Enfin, un simulacre de compétition puisque la finale fut la seule rencontre de ce tournoi olympique du cricket et que l’équipe de France était composée d’expatriés britanniques vivant dans la capitale.

La présence d’un sport aux JO est souvent présentée comme une aubaine. Pourtant, toutes les disciplines ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines ont cruellement besoin des JO en terme d’image, de médiatisation, de retombées financières notamment au niveau des subventions et de sponsoring. Parmi cette catégorie de sports, peu d’athlètes parviennent à vivre décemment de leur pratique. On pense à l’athlétisme, à l’escrime, au judo ou encore l’aviron. La plupart des concurrents ont un travail à côté.

En revanche, d’autres disciplines n’ont aucunement besoin des JO pour exister médiatiquement et financièrement : le football et le basketball en sont les meilleurs exemples. Bien sûr, leur présence aux JO est importante pour les pays où ces sports sont pas ou peu développé, nécessitant les subventions données à chaque olympiade. C’est surtout vrai pour des sports comme le basket, le handball, le volleyball. Le foot est quasiment professionnel partout même si les niveaux de jeu et d’organisation sont hétérogènes.

L’exemple du baseball et du softball est éclairant. Le duo fait son retour uniquement aux JO de Tokyo. Le baseball pour les hommes. Le softball pour les femmes. Pour le softball, c’est une véritable bénédiction. Sa pratique au niveau mondiale est importante mais il existe peu de ligues pros féminines et elles ne sont pas au niveau des championnats de baseball masculins en terme de médiatisation et de rentabilité financière. Les stars de la National Pro Fastpitch, plus grande compétition de softball au monde qui se déroule aux Etats-Unis, ont bâti une partie de leur carrière et de leur image sur leurs titres olympiques à l’instar de Jennie Finch, Cat Osterman ou Monica Abbott. Le retour des JO est donc une vraie bonne opération pour le softball même pour les nations majeures de ce sport.

En revanche, le baseball a moins besoin des JO. Bien sûr, sa présence est bénéfique pour les petites nations de ce sport comme la France bien que le bénéfice soit relatif. Mais pour les pays baseball, il n’y a pas de grande différence. La Major League Baseball se suffit à elle-même. Le Japon a aussi un puissant championnat bien établi avec la Nippon Pro Baseball. Idem en Corée, au Vénézuela, au Mexique, etc. Seul Cuba pourrait profiter des Jeux pour briller à nouveau dans le baseball de très haut niveau mais l’île a plus d’intérêt dans la détente des relations américano-cubaines pour exporter de nouveaux joueurs professionnels en toute légalité.

Lire sur le sujet : Baseball/Softball aux JO 2020, un comeback à court terme ? (site : The Strike Out France)

Le cricket est donc dans cette situation. Le cricket n’a pas tant besoin des JO dans les pays majeurs de l’ICC (Angleterre, Inde, Australie…) mais ce serait une aubaine dans des pays comme la France. D’ailleurs, la question ne se regarde pas de la même manière si on est un joueur ou une joueuse. Bien que le cricket féminin soit en plein essor, avec notamment la création de ligues pros, sa présence aux Jeux assurerait encore plus de visibilité à cette pratique, même pour des nations majeures. Pour le coup, comme en softball, il y aurait un véritable intérêt à l’intégration du cricket aux Jeux Olympiques.

Affiche annonçant le seul match olympique de cricket de l'histoire des JO
Affiche annonçant le seul match olympique de cricket de l’histoire des JO

Néanmoins, l’intégration du cricket aux JO serait l’occasion pour l’ICC de sortir ce sport de sa zone de confort qu’est le Commonwealth et d’ouvrir de nouveaux marchés pour le cricket. Et oui, l’argent a le don d’ouvrir le cœur des dirigeants à l’esprit olympique. D’ailleurs, la fédération anglaise (qui gère aussi le cricket au Pays de Galles) avait déjà fait du lobbying dans les années 2000 pour l’intégration du cricket aux Jeux. Cricket Australia avait aussi demandé à l’ICC, quelques années après, de faire ce travail pour les JO de Rio mais certaines nations majeures comme l’Inde et l’Angleterre avaient rejeté cette demande.

Il semble difficile d’accorder les violons de tout le monde en même temps au sein des nations majeures du cricket, particulièrement en Inde où la fédération ne veut pas se faire voler ses prérogatives sur le sport roi par le comité olympique indien. Mais avec le format T20 adapté aux JO et au spectacle sportif moderne, et l’ambition de conquérir de nouveaux marchés, les choses semblent bouger à l’ICC.

L’intégration du cricket rencontrerait néanmoins plusieurs obstacles. Le premier serait l’argument, déjà utilisé contre le baseball et le softball, de sa pratique réduite dans le monde. Un faux argument puisque le cricket est le second sport le plus pratiqué au monde. Le baseball est lui le 7ème. Il a l’avantage d’être plus cosmopolite puisqu’on retrouve différentes cultures baseball : nord-américaine (Etats-Unis, Canada), asiatique (Japon, Corée, Taïwan…), latine (Cuba, Mexique, Venezuela…). Le cricket reste très « Commonwealth » mais des nations comme Oman ou les Pays-Bas se rapprochent du très haut niveau en T20. Et la pratique du cricket est présente partout à divers niveaux, conformément aux standards exigés par le CIO pour inclure une discipline. Et d’autres sports ont profité des JO pour se développer au-delà d’un petit groupe de pays comme dans le cas du handball.

Le vrai problème est qu’on ne verra pas de cricket avant les JO de 2028. Et sous conditions. En effet, les cinq disciplines additionnelles pour 2020 ont déjà été choisies. En 2017, on connaîtra la ville hôte pour les Jeux de 2024 et aucune des villes candidates (Paris, Los Angeles, Rome, Budapest) n’a les infrastructures pour accueillir un tournoi olympique de cricket bien que l’ICC s’est fixée 2024 comme date d’intégration aux Jeux. Mais avec une nouvelle charte du CIO demandant des jeux sobres se basant sur des infrastructures existantes en priorité et sur des constructions pouvant s’inscrire dans la durée, il est difficile d’imaginer l’une de ces quatre villes construire deux stades de cricket pour leur olympiade.

Sans compter que la ville hôte choisira aussi des disciplines dans lesquelles le pays d’accueil peut briller à moindre coût comme le baseball/softball pour les japonais. En revanche, Paris n’investira pas des millions d’euros dans deux stades de cricket alors qu’actuellement, on est très très très loin du haut niveau, qu’il n’y a pas de championnat pro ou semi-pro pour les remplir (et les rentabiliser) et que la France compte seulement 2000 licencié-es dans ce sport.

La problématique sera la même en 2028. Selon les villes candidates, l’espoir sera là… ou pas. Parmi les villes qui ont déjà manifesté un intérêt, certaines donnent un espoir de voir du cricket aux JO : Doha au Qatar, Nairobi au Kenya et surtout Johannesburg en Afrique du Sud, Melbourne et Brisbane en Australie. Dans le cas des trois dernières villes, il serait même étonnant que le cricket ne soit pas choisi, entre les infrastructures existantes et les sérieuses chances de médaille.

Le Kenya possède une vraie culture cricket et une bonne équipe. Quant à Doha, les infrastructures ne poseraient pas de problème et le cricket s’y joue déjà avec tous les travailleurs – ou plutôt esclaves modernes – venus du sous-continent indien. Et le Qatar saurait, à l’instar du handball, monter une équipe compétitive de mercenaires. N’oublions pas la possibilité d’un duo Singapour / Kuala Lupur, qui pourrait être une solution pour voir du cricket aux Jeux.

La ville hôte des Jeux devrait être connue en 2021. 2016-2021, voilà le temps qu’il reste au cricket pour son lobbying olympique. Un lobbying qui ne sera couronné de succès uniquement si l’ICC est entièrement résolue à l’inscription du cricket et que le monde du cricket se mobilise, des grandes nations, notamment le pays hôte, et championnats pros aux nations mineures de ce sport. Comme cela s’est passé pour le baseball et le softball avec les JO de 2020. Une bonne indication en la matière : l’élection récente au CIO de l’homme d’affaires indien Nita Ambani, propriétaire de l’équipe de Mumbai en Indian Premier League de cricket.

Enfin, tout cela est la version pessimiste. Dans une version optimiste des choses, 2024 est jouable. Pour une simple raison : ouverture de marchés. Car, si le cricket aimerait certainement ouvrir de nouveaux marchés, c’est également le cas du CIO qui verrait bien les Jeux Olympiques prendre dans un sous-continent indien qui ne semble pas spécialement fou de ce rendez-vous mondial. Les indiens ne se passionnent guère pour les JO. La palette des sports appréciés par les indiens reste limitée et le cricket trône en tête, et de très loin. Or, un marché de plus d’un milliard d’être humains, sans compter le Pakistan, le Sri Lanka, le Bangladesh, fait saliver le CIO et ses sponsors. D’où l’offensive du football depuis quelques années à coups d’anciennes gloires pour un championnat de franchises sur le modèle de l’Indian Premier League de cricket.

Pour cette raison, le CIO pourrait être sensible à l’argument cricket de la part de villes candidates ou presser la ville désignée de choisir le cricket comme sport additionnel. Et ce, à partir des JO 2024. Rome a d’ailleurs pris les devants cet été selon la Fédération Italienne de Cricket qui a annoncé que le comité Rome2024 leur avait assuré la présence aux Jeux en cas de désignation. Sans compter qu’un stade de cricket pourrait être plus facilement reconverti en stade de football qu’un stade de baseball en comparaison. Ce qui permettrait à Paris, par exemple, de rester dans les clous d’une charte olympique qui souhaite la pérennité des structures olympiques, avec un usage de proximité notamment. On pourrait même imaginer la construction de stades olympiques de cricket qui auraient la double fonction cricket/football par la suite. Une piste à creuser pour un lobbying local de la part de France Cricket.

Et vous alors : pour ou contre le cricket aux Jeux Olympiques ?


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