Mesquineries poubellistiques au pays des Aussies

Par Yves Tripon

Une balle de cricket se compose de deux demi-sphères de cuir entourant un noyau en liège enserré dans de la ficelle ultra-tendue. Les deux demi-sphères sont reliées l’une à l’autre par une double couture extérieure. Au fur et à mesure que le jeu progresse, le cuir de la balle tend à s’user tendant à rompre l’équilibre de celle-ci, ce qui peut influencer son rebond et amplifier ou contredire les effets donnés par le lanceur. C’est ce qu’on appelle l’usure naturelle et au bout d’un certain temps les arbitres décident de son remplacement.

Mais il existe aussi une usure « artificielle ». Elle est due à l’action directe sur la balle d’un ou de plusieurs joueurs. Dans Cricinfo, Melinda Farrell en donne toute une liste à la Prévert : « Mente, chewing-gum, gomina, écran solaire, baume à lèvres, sueur, salive, braguette, boisson énergétique, capsule de bouteille, biltong [viande séchée sud-africaine], dents et même des grenouilles rouges, certainement le plus surréel (…) » Les uns permettent, dit-on, de déséquilibrer la balle en l’alourdissant sur une face, les autres d’en entailler le cuir. Toute cette alchimie, pour reprendre l’expression de Farrell, « combinée au cuir, produit l’effet en or. Ou pas. »

Balle truquée en cricket : légende urbaine ?
Balle truquée en cricket : légende urbaine ?

Car, en fait, il n’a jamais été prouvé que cela changeait quelque chose. Mais on l’a toujours supputé. C’est pourquoi, on ne trouve dans les lois du Cricket, rien du tout à cet égard. Mais le principe de précaution, qui, dans notre beau pays, ne s’applique qu’à la condition de ne pas gêner les profits, a fait pondre au siège de la rigueur et de l’intégrité qu’est la fédération internationale de cricket, l’ICC, installée dans ce temple de l’honnêteté et de la transparence qu’est Dubaï, l’article 2.2.9 du Code de bonne conduite. Je cite : « Changer l’état de la balle en rupture avec la loi 42,3 des Lois du Cricket [qui décrit l’état normal de la balle] » est une faute.

Et, entre autres, parmi ces changements, on trouve : « appliquer toute substance artificielle à la balle, et appliquer toute substance non-artificielle dans tout autre but que de polir la balle ». Et c’est justement autour de ce point que les médias australiens se sont lancés dans une dénonciation du capitaine sud-africain Du Plessis accusé d’avoir utilisé sa salive pour déposer de la menthe qu’il récupérait d’un bonbon qu’il avait dans la bouche.

Cela se serait passé lors du deuxième test match de la série qui oppose l’Australie à l’Afrique du Sud.
La vidéo présentée sur toutes les chaînes de télévision australiennes nous présente un Du Plessis en train de nettoyer la balle avec sa salive, puis la frotter contre son pantalon. On aperçoit un bref instant, une pastille menthe dans sa bouche. Et voilà donc nos médias qui se mettent à hurler au scandale.

Le problème est que cela se passe aussi devant les arbitres, qui ne voient là rien à redire, et que la fédération australienne, même après avoir visionné la séquence, n’a pas porté plainte. Pire l’un de ses membres a pris la défense de Du Plessis. Mais le grand corps puritain de l’ICC veillait. Et pour un bonbon, voilà Du Plessis accusé de tricherie.

Certes Du Plessy en 2013, contre le Sri Lanka, avait gratté avec son ongle la balle. Pris en flagrant délit par la télévision Star 1, il avait reconnu les faits et été condamné par l’ICC. Cela lui avait valu la réprobation de la fédération et des médias sud-africains. Depuis, il ne s’est rien passé. Et voilà qu’on l’accuse de nouveau, alors que l’Afrique du Sud est en train d’écraser l’Australie .
Jugez en.

Au premier match à Perth, lors de la première manche, l’Afrique du Sud marque 242 courses, l’Australie 244, mais à la deuxième manche, l’Afrique du Sud obtient 540 courses contre 361 à l’Australie. Résultat final, 782 pour l’Afrique du Sud, 605 pour l’Australie. Chez elle ! Pire, l’Afrique du Sud, qui jouait en premier, avait passé la main (déclaré selon le terme officiel) à l’Australie, alors que tous ses batteurs n’avaient pas été éliminés (il en restait deux sur la piste et un qui attendait son tour).

Au second match à Hobbart en Tasmanie, la leçon est encore plus cinglante. L’Australie, qui batte la première, marque seulement 85 courses à la première manche, tandis que l’Afrique du Sud en obtient 326. À la seconde manche, l’Australie marque 161 courses et, du coup, l’Afrique du Sud gagne sans avoir à jouer la sienne, par 326 à 246.

L’humiliation…

Il était de bon ton, voici quelques années, de reprendre la blague sur le football et les Allemands en l’adoptant légèrement au cricket et à l’Australie : « Le cricket est un jeu inventé par les Anglais et à la fin, c’est l’Australie qui gagne ». Aujourd’hui, c’est plutôt la soupe à la grimace.

Rien ne va plus au pays où le cricket est le sport le plus populaire, un peu à l’image du base-ball aux USA où du foot au Brésil. L’équipe d’Australie est en pleine déconfiture face à une Afrique du Sud, qui l’étouffe. Dans la première quinzaine d’octobre, son équipe ODI (match international en une journée limité à 50 overs ou séries de lancers) a perdu ses cinq matchs lors de sa tournée au pays de Mandela. Sa dernière victoire remonte à septembre contre… l’Irlande, nation non éligible au match test.

Alors, il faut du coupable. Et comme les Australiens sont les meilleurs, les autres , les étrangers, ne peuvent que tricher.

Déjà, quand l’équipe ODI avait perdu son deuxième match lors de sa tournée au Sri Lanka, l’état du pitch (la piste) avait été mis en cause. Et la presse s’était déchaînée contre ces srilankais, qui sabotaient les matchs en oubliant soigneusement de dire que, si la piste était mauvaise (ce qui restait à démontrer), elle l’était pour les deux équipes. Et toute cette polémique avait miraculeusement cessé quand les Aussies avaient remporté tous leurs autres matchs.

Aujourd’hui, l’affaire est plus grave. Il ne s’agit pas d’un match, mais d’une série de matchs et surtout d’une série test, le summum du cricket, les matchs en cinq jours à nombre de séries de lancer illimité. Et qui plus est d’une menace de lessivage, chose que n’a jamais connu l’Australie sur son sol.

Du côté de la fédération australienne, Cricket Australia, on est plus modéré. Et surtout on sait que ces défaites sont le symptôme d’une crise profonde. Et il est vrai que l’Australie, avec le réservoir et le potentiel en terme de joueurs qu’elle possède, ne devrait pas subir une telle série de défaites. Et c’est bien ce qui irrite les médias australiens. D’autant que la popularité du cricket a des retombées financières. Les droits de télévision sont particulièrement élevés au pays du kangourou et l’audimat risque de se détourner d’une équipe financièrement si chère au portefeuille médiatique.

On envoie donc un os à ronger pour le public et Du Plessis dans la fosse aux lions. Le problème est que cette fois-ci, le capitaine de l’Afrique du Sud se déclare non-coupable et que toute l’équipe sud-africaine, staff et dirigeants compris, fait bloc. Et Du Plessis n’a même pas à s’expliquer, ce sont ses coéquipiers qui parlent à sa place traitant de « plaisanterie » les accusations et suggérant que les Australiens sont de mauvais perdants. Certains se permettent même de rappeler toutes les injures racistes lancées à l’encontre d’Amla, qui non seulement a le culot d’être un excellent lanceur, mais aussi d’ascendance indienne, musulman et porte-parole devant la presse de toute l’équipe.

Le prochain match doit avoir lieu à Adelaide du 24 au 28 novembre. Nul doute qu’il se fera dans une tension des plus étouffantes.

Quant à l’ICC, il est clair qu’elle s’est mise dans une situation des plus stupides qui ne fait qu’affaiblir un peu plus son autorité. Personne ne lui a demandé de mettre en accusation qui que ce soit, hormis les médias australiens. Derrière eux, c’est tout le marché australien qu’elle a vu. S’il s’était agi du Zimbabwe à la place de l’Australie, nul doute que rien ne serait arrivé.

Dieu que le fric peut rendre les gens stupides. Espérons pour Du Plessis que le soufflé retombe.


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