Aux origines des Ashes, la plus mythique compétition de cricket

L’histoire du sport moderne est émaillée de rivalités internationales entre nations et le cricket n’échappe pas à la règle. La rivalité politique et militaire entre l’Inde et le Pakistan s’est naturellement reportée sur les terrains de cricket. Les affrontements dans l’ovale de ces deux nations majeures du cricket donnent lieu à une véritable frénésie. Lors du match de coupe du monde du 15 février 2015 entre les deux pays, le Washington Post a estimé le nombre de téléspectateurs à 1 milliard.

Mais la rivalité la plus ancienne concerne deux autres nations du Commonwealth, également des poids lourds du cricket, l’Angleterre et l’Australie. Une rivalité entre l’ancienne puissance coloniale et sa colonie du bout du monde. Une rivalité qui va voir naître l’une des plus anciennes compétitions internationales du sport moderne, les fameuses Ashes.

The Ashes est le duel que se livrent tous les deux ans (généralement) l’équipe d’Angleterre (qui est en fait l’équipe d’Angleterre et du Pays de Galles) et l’équipe d’Australie. Le duel prend la forme de cinq Test Matchs (généralement). L’équipe qui gagne le plus de Test Matchs remporte la compétition. Chaque nation reçoit alternativement la compétition et chaque Test Match (ces matchs de cricket qui peuvent durer jusqu’à cinq jours) se joue dans un stade différent.

Si la Coupe du Monde est la compétition de cricket la plus suivie, celle des Ashes est assurément la plus mythique. Elle met aux prises l’ancienne puissance impériale, celle où le jeu naquit, et l’Australie, une colonie à l’histoire singulière avec le Royaume-Uni.

Un peu d’histoire…

En effet, l’indépendance des États-Unis, suivie de la guerre anglo-américaine de 1812, a crée un gouffre culturel entre les deux nations, ce qui conduira le cricket à s’effacer au profit du baseball dans les années 1860, un pur produit américain. L’indépendance progressive du Canada, dit les « Colonies Blanches », se fit en douceur dès 1839, là où les autres colonies étaient sous le joug autocratique et militaire britannique. Seulement, avec la proximité des États-Unis, l’influence culturelle française dans certaines régions ou encore un rythme saisonnier particulier, le Canada a développé sa propre culture qui allait mettre de côté de plus en plus le cricket au profit d’autres disciplines comme le hockey sur glace, le baseball devenant le premier des sports de batte du pays.

Que dire des rapports conflictuels en Afrique du Sud où la culture britannique a du s’imposer à coups de fusils et de canons lors des deux guerres des Boers et l’annexion du Transvaal. Si le cricket est devenu l’un des sports majeurs de la région, les rapports à la puissance impériale étaient loin d’être fraternels. Il en était tout autre avec l’Australie. Après des débuts difficiles, l’Australie a su gagner son indépendance tout en restant fidèle à l’Empire. Ainsi, les colonies australiennes étaient appelées « colonies indépendantes » à la fin du 19ème siècle avant de devenir le Commonwealth d’Australie en 1901, une fédération de toutes les colonies du continent pour former un seul et même pays. Pourtant, aucune déclaration d’indépendance ne fut prise jusqu’à aujourd’hui.

L’un des effets de cette décolonisation pacifique et graduée est que, contrairement aux États-Unis et au Canada, le cricket est resté le sport national, même si le rugby et le footy sont ensuite devenus de sérieux concurrents. Le cricket était certainement un atout pour une Australie qui prenait son indépendance. Il a pu être une arme pour lutter pacifiquement face à la puissance coloniale, une manière de revendiquer son existence propre en tant que nation sans faire la guerre tout en restant dans le giron de la couronne britannique.

Néanmoins, les premières joutes internationales n’ont pas lieu sur le sol anglais ni même australien. C’est en Amérique du Nord que les premières rencontres entre nations se jouent, entre les canadiens et les américains (dès 1844), avant que ces derniers ne reçoivent une tournée de joueurs anglais en 1859. À ce moment-là, le cricket est un sport majeur, un lien culturel unissant le Royaume-Uni à ses anciennes colonies. Cependant, la Guerre de Sécession éclate et le cricket va décliner face au baseball qui devient le sport national de la jeune nation américaine. Désormais, c’est vers l’Australie que se porte les ambitions sportives internationales du cricket anglais. La première tournée anglaise en Australie s’effectue en 1861-1862.

Après cela, les tournées se multiplient dans les deux sens. En 1868, une équipe d’Aborigènes devient la première équipe australienne en tournée internationale, jouant 47 matchs en Angleterre jusqu’en 1869. En 1877, le joueur de cricket anglais, James Lillywhite, embarque pour le continent australien avec une équipe professionnelle de joueurs anglais. Celle-ci joue deux matchs face à une sélection de joueurs issus des colonies du Victoria et de la Nouvelle Galles du Sud. Considérée par la suite comme la première équipe d’Australie, les deux équipes viennent de jouer les deux premiers Test Matchs officiels de l’histoire du cricket. Les Australiens remportent d’ailleurs la première rencontre.

Arrive donc l’année 1882 où les Australiens débarque à Londres pour défier les puissants anglais, donnés comme grands favoris. Un seul Test Match, le 9ème entre les deux nations, doit être joué les 28 et 29 août dans le stade The Oval.

L’affront australien au cricket anglais

Dans la première manche, les Australiens marquent 63 courses tandis que les Anglais atteignent le score de 101, malgré que la légende WG Grace n’ait scoré que 4 courses. Le jour suivant, dans la seconde manche, les Australiens se réveillent et scorent 122 courses mais les Anglais ont seulement besoin de marquer 85 courses pour remporter la rencontre.

L’équipe australienne du Test Match de 1882 en Angleterre

Avant le passage des locaux à la batte, les Aussies sont dépités. Ils auraient pu scorer bien plus que 122 courses, perdant leurs quatre derniers guichets en peu de temps et scorant 8 petits points à ce moment-là. Pourtant, un homme refuse la défaite qui se profile, Fred Spofforth. Celui qu’on surnomme The Demon Bowler est l’un des grandes lanceurs du 19ème siècle. Il est le premier à avoir atteint la marque de 50 guichets en Test Match et le premier à avoir lancé un hat-trick en Test Match (1879). Et dans la première manche, il a obtenu 7 guichets dont celui sur WG Grace.

« This thing can be done ». Face à ses coéquipiers, Spofforth en est convaincu, les Australiens peuvent gagner. Et joignant les actes aux paroles, il livre une deuxième manche dans la lignée de la première, faisant tomber à nouveau 7 guichets dont 4 en fin de manche pour deux courses abandonnés, laissant les anglais à 8 courses de la victoire. Ils n’en marqueront que deux avant qu’Harry Boyle, l’autre lanceur star de l’équipe, ne prenne le dernier guichet. La manche d’attaque des anglais n’aura duré que 122 petites minutes.

L’Australie gagne par 7 courses le Test Match dans un Oval médusé. Le public n’en revient pas. L’étonnement passé, les spectateurs se ruent sur le terrain pour féliciter chaudement Spofforth et Boyle pour leurs incroyables performances.

Fred « The Demon Bowler » Spofforth

Évidemment, la presse britannique s’empare de l’événement, à la hauteur de l’affront subi par le cricket anglais. Après tout, les Australiens, ces colons du bout du monde, viennent de battre les inventeurs du cricket, ce jeu qui porte en lui les valeurs victoriennes d’excellence et de force morale si chères aux Anglais, et sur le propre sol qui plus est.

Dans les jours qui suivent, les Australiens sont célébrés et l’équipe d’Angleterre moquée, notamment par des nécrologies satiriques. La plus célèbre est celle du The Sporting Times, publiée le 2 septembre :

In Affectionate Remembrance of ENGLISH CRICKET,

which died at the Oval on 29 August 1882,

Deeply lamented by a large circle of sorrowing friends and acquaintances

R.I.P.

N.B.—The body will be cremated and the ashes taken to Australia.

C’est la première mention des Ashes (« cendres »), une formulation qui donnera plus tard son nom à la compétition.

La revanche des Anglais

Après la défaite, l’équipe d’Angleterre se dote d’un nouveau capitaine, Ivo Bligh, qui ambitionne de « regagner ces cendres » lors d’une tournée en Australie lors de l’hiver, ou de l’été pour les Australiens, 1882-1883. Lors de la dite tournée, Bligh répétera à plusieurs reprises vouloir récupérer les cendres, ce qui va exciter la presse australienne et donner du relief à cette nouvelle série de Test Matchs. Cette fois-ci, trois Test seront disputés.

Bligh s’embarque pour l’Australie avec huit amateurs et quatre professionnels. Néanmoins, il manque trois des quatre meilleurs joueurs anglais dont WG Grace, sans compter que Fred Morley, le lanceur le plus rapide d’Angleterre, se blesse sérieusement durant le voyage quand le navire qui transporte l’équipe heurte un autre bateau à 500km au sud du Sri Lanka.

Lors du banquet entre les deux équipes à Melbourne, les Australiens affichent la couleur par l’intermédiaire de Billy Murdoch, déjà capitaine de l’équipe victorieuse en Angleterre : « Nos garçons ont gagné les cendres et nous avons confiance en eux pour en conserver la possession, du moins pour le moment. Quand, nous l’espérons, nous aurons montré à nos visiteurs qu’ils ne peuvent pas récupérer les cendres, nous pourrons ensuite placer la poussière sacrée au sein d’une urne appropriée dans notre bibliothèque publique, comme une curiosité à montrer aux visiteurs, avec respect et estime, comme la preuve de la prouesse australienne sur le terrain de cricket. »

Le premier Test se joue du 30 décembre au 2 janvier au Melbourne Cricket Ground. Lors du Nouvel An, 23 000 spectateurs sont présents. Les Australiens s’imposent facilement par 9 guichets, les Anglais ayant la malchance d’affronter la pluie lors de leurs manches de défense, rendant les lancers plus difficiles à exécuter. La reconquête des Ashes démarre mal et la presse des « colonies indépendantes » fanfaronne sur la supériorité confirmée du cricket australien.

Le second Test se tient une nouvelle fois au Melbourne Cricket Ground fin janvier. Cette fois-ci, la chance est du côté des Anglais. Ivo Bligh gagne le toss, ce qui va donner un énorme avantage tactique aux représentants de l’île d’Albion. Le pitch, le tapis de lancer, est fortement dégradé et les équipes se rejettent la faute, ouvrant à une controverse. Quand Billy Bates réalise le premier hat-trick anglais en Test Match lors de cette rencontre, les Australiens accusent le batteur anglais Dick Barlow de lui avoir préparé le terrain en dégradant le pitch avec ses chaussures. Bligh, pour apaiser la rencontre, demande à Barlow de changer de chaussures.

Au final, les Anglais ne frappe qu’une manche, enregistrant 294 courses. Les Australiens enchaînent ensuite leurs deux manches d’attaque sans pouvoir rattraper les visiteurs qui remportent le Test par une manche et 27 courses.

Le troisième Test décisif se joue quelques jours, après du 26 au 30 janvier, au Sydney Cricket Ground. Pour éviter à nouveau la controverse, deux tapis de lancer sont utilisés pour la rencontre. Malgré une belle performance de Spofforth au lancer, les Anglais remportent le match par 69 courses et regagnent la fierté de leur cricket.

L’équipe anglaise des premières Ashes – 1883

Un quatrième Test sera joué en février face à une nouvelle équipe d’Australie, meilleur que le XI de Murdoch. Les locaux l’emporteront par quatre guichets mais le match ne sera pas reconnu comme un match officiel de la série. L’honneur est sauf et la victoire finale reste anglaise.

La naissance des Ashes

La légende veut, qu’après la victoire anglaise lors du troisième Test, un groupe de femmes aurait offert aux Anglais une urne contenant les cendres d’un bail (guichet en français, c’est un petit morceau de bois en haut des piquets [stump] du guichet – oui, en français, guichet désigne ce petit morceau de bois et l’ensemble guichets/piquets soit le « wicket » en anglais). Cette urne était le symbole des cendres regagnées par le XI anglais.

Dans ce groupe de femme, on retrouve Florence Morphy, future femme d’Ivo Bligh et cette version est justement donnée par Bligh lui-même en 1894. Cependant, d’autres recherches évoque que l’urne fut donnée après un match amical dans la propriété de Sir William Clarke, dans le Victoria, lors du jour de Noël 1882 soit avant la série des Test. Bligh qui reviendra plusieurs fois sur l’origine de l’urne maintiendra l’idée que l’urne fut offerte par des femmes après le troisième Test mais intégrera, dans l’un de ses discours, la femme de Sir Clarke comme faisant partie du groupe.

Reste que les Anglais regagnent leur île avec cette petite urne de bois dans la valise d’Ivo Bligh. Celui qui allait devenir le 8ème comte de Darnley et représentant au parlement britannique, garda cette urne jusqu’à sa mort en 1927. Puis sa veuve la donna au Marylebone Cricket Club qui l’exposa dans son pavillon puis dans son musée au Lord’s Cricket Ground, où elle se trouve toujours.

Ivo Bligh, le capitaine qui redonna sa dignité à la couronne britannique et au cricket anglais

Cependant, pendant deux décennies, le terme Ashes va quasiment disparaître. Les Test se poursuivent, avec une domination anglaise de 1884 à 1896, et il faut attendre 1904 pour revoir faire surface le terme Ashes dans un livre du capitaine du XI anglais, Plum Warner, titré « How we recovered the Ashes » après la tournée victorieuse de son équipe en 1903-1904 alors que l’Angleterre avait perdu les quatre séries précédentes dont les célèbres Classic 1902 Series. C’est à partir de ce moment-là que l’affrontement des deux nations prend véritablement le nom de « The Ashes ».

Les Ashes vont alors contribuer à bâtir la légende du cricket, devenant un rendez-vous incontournable du cricket international, y compris au sein du cricket féminin avec les premières Women’s Ashes en 1934-1935.

To be continued…


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