Halte au cricket bashing !

Faites une recherche sur Twitter en tapant « le cricket » ou « du cricket ». Vous y trouverez des articles sur le cricket bien sûr mais aussi un certain nombre de remarques peu sympathiques pour ce sport. En France, si on souhaite faire des comparaisons négatives sur la complexité des règles, la confidentialité d’une chose ou l’ennui, le cricket est dans le top 3 des références.

Car voilà l’image que renvoie le cricket : un sport compliqué, peu joué et ennuyeux. Trois affirmations résolument fausses. Esprit du Cricket le dit tout haut : halte au cricket bashing ! Vous avez tout faux les gens. La preuve par trois :

Le cricket, c’est trop compliqué !

Le cricket est, avec le baseball, son cousin d’Amérique, le sport utilisé en exemple pour décrire la complexité sportive. Une aberration. Certes, le cricket a son lot de règles, parfois complexes, mais la base est pourtant très simple. Des batteurs qui frappent et courent pour marquer des points en faisant au moins un aller voir en sortant la balle. Un lanceur qui tente d’éliminer, aidé par une défense. A la fin, celui qui a le plus de points gagne. Simple. Basique.

Comme au football, au rugby, au tennis ou au handball, on peut profiter d’un match sans être un expert du règlement. Bien entendu, mieux on connaît les règles, mieux on profite mais les règles de base sont assez simples à assimiler.

Mais pourquoi cette idée reçue que le cricket serait le summum de la complexité sportive ? Il est vrai que l’auteur CLR James écrivait à propos du cricket que seuls les Anglais pouvaient comprendre le cricket, parlant d’Englishness. Mais ce n’est pas tant au niveau de ma complexité des règles qu’il faut comprendre cette formule qu’au sens donné par les Anglais à ce jeu au niveau socio-culturel. CLR James aborde dans cette expression les valeurs typiquement anglaises que représente le cricket.

En France, le baseball souffre des mêmes préjugés. Il est vrai que cricket et baseball expriment parfaitement ce que l’on pourrait appeler l’âme des nations anglaise et américaine, leur état d’esprit, leurs valeurs et leur histoire. De plus, ce ne sont pas des sports collectifs classiques avec deux camps opposés de chaque côté du terrain et tentant de marquer des points au même moment.

Que ce soit en faisant un aller retour entre deux guichets au milieu d’un terrain oval ou en faisant le tour de bases sur un terrain en forme de diamant, avec des équipes qui alternent phase d’attaque et de défense, cricket et baseball demandent une autre logique, une autre forme de pensée. Il n’y a pas d’idée de conquête comme en rugby ou en football mais le désir de retour perpétuel. Une métaphore de la vie en somme. Ce n’est donc pas plus compliqué. C’est juste différent.

Il ne faut pas oublier que football, rugby, handball ou encore basket, sports bien ancrés en France, peuvent se révéler complexes pour le ou la non-initié.e, à qu’il faut expliquer les règles du hors-jeu en football ou en rugby, le pourquoi d’un penalty en hand ou d’un lancer franc en basket. Comme tout sport, le découvrir avec une.e connaisseur.se permet rapidement d’acquérir les bases pour profiter du match.

Le cricket, c’est l’ennui assuré !

L’auteur irlandais George Bernard Shaw disait que les anglais avaient inventé le cricket pour se donner une idée de l’éternité.

Le cricket n’est pas un jeu dynamique comme le football avec du mouvement de manière ininterrompue pendant deux fois 45 minutes. Mais c’est un sport avec sa propre temporalité. Une fois encore, comme le baseball, le cricket évolue avec une dynamique différente entre temps morts et brusques accélérations du jeu. L’enjeu n’est donc pas le mouvement pour atteindre un but mais un duel (lanceur-batteur) pour atteindre un objectif. Or, comme dans les westerns, un vrai duel requiert du temps, de la préparation, de l’observation, un jeu de regard et une bataille d’ordre psychologique avant le mouvement sportif lui-même.

Cela dit, contrairement au baseball, les frappes sont plus régulières. L’intérêt des batteurs est donc de faire surtout des bonnes frappes pour marquer des points et éviter de se faire éliminer. En revanche, l’International Cricket Council a bien compris que la temporalité du cricket n’était plus forcément adaptée à notre société de l’hypermédiatisation. Tout va vite, trop vite. Le Test Cricket avec ses rencontres sur plusieurs jours risquait de lasser les jeunes générations et les médias. D’où l’émergence du format ODI (sur une journée) puis du T20. Ce dernier format se joue en 20 séries de lancers, durant en moyenne 3 heures comme un match de baseball. Un format plus adapté à la « consommation » de cricket lors de retransmissions ou dans les stades.

Si le succès du T20 est indéniable, il met aussi à mal le Test Cricket et l’identité de jeu même en modifiant en profondeur le cricket tant sur la manière de jouer que sur ce qu’il représente, au-delà du simple aspect sportif et économique.

En tout cas, allez faire un tour dans un stade de cricket à Londres, Mumbai ou Melbourne, vous comprendrez, au vu de l’ambiance, que le cricket n’est en rien ennuyeux. L’ennuie n’y est pas inscrit dans son ADN. Comme dans tous les sports, cela dépend des matchs, des joueurs, des enjeux. Nous le savons fort bien en France avec la Ligue 1…

Quel silence mortifère, oh la la…

Enfin, si ce sport était si ennuyeux, est-ce qu’il plairait autant au Dieu de la Vitesse Usain Bolt ? Le jamaïcain pensait même faire carrière dans ce sport avant de choisir l’athlétisme. Et comme le disait George Bernard Shaw, encore lui : « le cricket est un jeu joué par 11 fous et regardé par 11000 fous ». Oui, le cricket, c’est une passion qui rend fou (de joie).

Ambiance mortelle au cricket

Personne ne joue au cricket sauf les anglais et les indiens !

Quelle erreur ! Si, effectivement, le cricket est un sport roi au sein du Commonwealth, il est pratiqué au-delà des anciennes frontières de l’Empire britannique. On trouve des fédérations affiliées à l’ICC dans 101 pays dont la France. Et certaines nations n’appartenant pas au Commonwealth commencent à se faire un nom dans le très haut niveau comme les Pays-Bas.

On considère le cricket comme la deuxième pratique sportive au monde (environ 120 millions de personnes le pratiquent), bien aidé, il est vrai, par le sous-continent indien où il le sport roi incontesté (Inde, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Afghanistan). C’est également le sport national australien, le sport national d’été en Nouvelle-Zélande, l’un des sports nationaux en Afrique du Sud et un sport majeur dans les îles britanniques. Enfin, plus méconnu en France, c’est aussi une discipline très répandue dans les Caraïbes et les Antilles. Ce sport y est si pratiqué et aimé que les joueurs.ses de ces pays sont regroupé.e.s dans une même équipe, les West Indies, qui comptent parmi les meilleures équipes au monde et dans l’Histoire du cricket.

Avec l’afflux de réfugié.e.s et le développement de la pratique féminine, le cricket connaît également une nouvelle jeunesse dans de nombreux pays européens, notamment en Allemagne, en Italie ou en France. Dans l’hexagone, on compte 1200 licencié.e.s chez France Cricket mais le chiffre dépasserait les 15000 en comptant les pratiquant.e.s non licencié.e.s à la fédération. C’est également une pratique très ancienne et très répandue en Nouvelle-Calédonie, sous une forme locale (ce qui est souvent le cas en Polynésie, voir notre article sur le Trobriand Cricket).

Depuis peu, l’ICC tente également de réinvestir les USA. Il ne faut pas oublier que le cricket fut le jeu numéro 1 de la jeune nation américaine. Si le baseball fut codifié en 1845, c’est durant et après la guerre de sécession qu’il supplanta le cricket pour devenir le National Pastime outre-atlantique. D’ailleurs, la première rencontre internationale de cricket fut un Canada-USA, en 1844.

Donc de nombreuses personnes jouent au cricket dans le monde mais plus encore le regardent. On estime à environ 2 milliards le nombre de fans de cricket sur la planète. La coupe du monde de cricket fait partie du top 10 des évènements sportifs les plus suivis dans le monde avec une moyenne de 400 millions de fans devant leur écran. Le record a été atteint en 2015 avec une estimation à un milliard et demi de téléspectateurs pour la rencontre Inde-Pakistan.

Aimer le cricket, ce n’est donc pas appartenir à un cercle secret et restreint d’initié.e.s mais à une large communauté mondiale.

Vous l’aurez compris, au-delà des préjugés et des clichés, le cricket est un sport passionnant, enthousiasmant, ouvrant sur de nouvelles cultures, riche d’une histoire fabuleuse, permettant de penser le sport autrement. S’il existe encore de manière embryonnaire en France, sa pratique se développe année après année, suivant la dynamique observée au niveau planétaire. Désormais, le cricket vise une reconnaissance à cette mondialisation sportive : un retour aux Jeux Olympiques.

Pour en savoir plus, retrouvez notre interview du journaliste spécialisé et éditeur du Wisden Almanack Lawrence Booth.

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